Apple Arcade ou le serment du jeu de pomme

Selim Salem
23 min readMar 21, 2021

Avant-propos : L’article qui suit émane de ma propre analyse. L’exercice consiste à déterminer les raisons qui auraient motivé Apple à lancer le service Apple Arcade, puis à analyser ce service dans sa forme actuelle (au 21 Mars 2021) afin d’identifier de nouveaux leviers de croissance.

Apple et jeu vidéo : histoire d’un couple instable

Depuis sa création, Apple a entretenu des liens plus ou moins étroit avec le jeu vidéo. Lors du lancement en 1977 de l’Apple II, la société a clairement fait du jeu vidéo, un argument marketing avec le slogan “The home computer that’s ready to work, play and grow with you” et vantait les possibilités de jouer à Pong mais aussi de créer ses propres jeux vidéo. Aussi, le fait que l’architecture technique ait été rendue publique et grâce aux facilités offertes pour la programmation, le nombre de jeu vidéo développés pour l’Apple II, notamment amateur, n’a fait qu’augmenter au fil des années. Enfin, l’offre pléthorique de logiciels et la compatibilité avec les supports disquettes ont contribué à élargir le parc installé d’Apple II, ce qui a permis de donner de la visibilité aux développeurs dont certains sont devenus légendaires comme Jordan Mechner et son fameux Prince of Persia.

Apple II

Si l’Apple II pouvait être considéré comme une plateforme de jeu vidéo, comme l’était le Commodore 64, ce fut moins le cas par la suite pour le Macintosh. Changement de microprocesseur, écosystème fermé, prix élevé, les obstacles étaient nombreux pour les développeurs de jeux vidéo, qui préfèreront continuer à développer sur Apple II, voire à basculer sur le Compatible PC. C’est dans les années 90, avec l’explosion des ventes d’ordinateurs PC et la commercialisation des cartes graphiques, que le jeu vidéo PC connaitra un essor sans précédent, au grand dam d’Apple qui aura encore changé de type de microprocesseur, poussant une nouvelle fois les développeurs à revoir le mode de programmation de jeu sur les Macintosh. On passera également l’échec cuisant de la Pipp!n, console de jeu vidéo lancée en collaboration avec Bandai en 1996. A noter qu’avec le retour de Steve Jobs aux commandes, la conscience de l’importance du jeu vidéo reste palpable dans la stratégie d’Apple, pour preuve l’introduction, par le CEO en personne, du jeu Halo sur la scène du MacWorld en 1999.

Les Mac traînent encore aujourd’hui une réputation de plateforme défavorable aux jeux vidéo, notamment à gros budget, et doivent se contenter de portages de jeux PC sur un choix très restreint de titres et avec des décalages pouvant atteindre deux ans (essentiellement portés par deux entreprises spécialisées : Feral Interactive et Aspyr Media). Cet état de fait est non seulement lié à un parc installé plus restreint que le PC (90% des ordinateurs dans le monde sont des PC), mais la majorité du parc installé de Mac n’a pas la puissance technique suffisante pour supporter des jeux dits “Triple A”. Pour ce qui est des jeux indépendants, moins gourmands techniquement, ils ont connu des portages simultanés avec le PC ces dernières années , grâce notamment aux efforts d’Apple dans l’élaboration de kit de développement plus accessibles (outil Metal).

Alors, peut-on dire qu’aujourd’hui, Apple est devenu un outsider dans le secteur du jeu vidéo ? Oui et non. Oui, concernant le marché du jeu sur ordinateurs, et ce, depuis les années 90, mais non, concernant le jeu mobile (smartphone et tablette). En effet, si c’est bien l’iPhone qui a permis à Apple de prendre les proportions économiques que l’on connait aujourd’hui, c’est aussi ce produit qui a permis de renouer avec le secteur du jeu vidéo.

L’iPhone, roi du jeu mobile

Depuis le début des années 2010, les revenus engrangés par la vente d’applications via l’App Store sont très supérieurs à ceux générés via Google Play, y compris pour les jeux vidéo, alors même que la part de marché d’Android est supérieure à celle d’iOS au niveau mondial. Selon les chiffres relatifs au premier semestre 2020 publiés par SensorTower, les dépenses liées au jeu mobile s’élève à 22,2 milliards de dollars sur l’AppStore contre 14,4 milliards sur Google Play, soit près de 30% de plus. Pour illustrer cet état de fait, le jeu Genshin Impact sorti sur iOS, Android, PS4 et PC, a rapporté $874 million dont $521 million, soit près de 60%, ont été généré via l’App Store.

Autre fait majeur, les revenus provenant du mobile gaming représentent plus de 67% du total des revenus générés par les applications sur l’App Store. Ainsi, les chiffres parlent d’eux-mêmes, les jeux mobile sont indubitablement au coeur de la stratégie des boutiques d’applications, et Apple le démontre durant ses temps forts de communication. Ainsi, on a pu assister à des présentations de jeux durant les événements majeurs d’Apple, et ce, par des personnalités du secteur du jeu vidéo. En voici quelques exemples :

  • Shigeru Miyamoto, créateur et producteur chez Nintendo, apparait sur la scène de l’Apple Special Event en 2016 pour la présentation de Super Mario Run, qui fut exclusif à iOS pendant 1 an ;
  • Jenova Chen, fondateur et CEO de thatgamecompany, société derrière le fameux Journey, apparait sur la scène de la Keynote de septembre 2017, pour présenter son prochain jeu, Sky : children of light, exclusif à iOS pendant 1 an ;
  • Todd Howard, réalisateur et producteur chez Bethesda Game Studios, monte sur la scène de la Keynote de Septembre 2018 pour présenter The Elder Scrolls : Blades.

Autre élément clé, le mobile détient 48% du marché des jeux vidéo en termes de revenus, tandis que les 51% restants sont partagés entre le PC et les consoles, avec une domination pour ces dernières de 28%. A noter que le gaming Mac n’est pas mentionné, et doit être noyé dans les revenus PC avec une part négligeable.

Au vu de cette domination d’Apple sur le marché du mobile gaming, on pourrait penser qu’il suffirait que la société se contente de poursuivre sa stratégie actuelle. Celle-ci consisterait à poursuivre avec le même rythme l’accueil de jeux tiers sur l’App Store, à négocier ponctuellement des exclusivités temporaires, tout en communiquant régulièrement sur les sorties de jeux célèbres et sa domination graphique sur le marché mobile, comme cela a été fait avec League of Legends : Wild Rift lors de la Keynote 2020. Pourtant, ce n’est pas si simple et de ce fait, une analyse SWOT s’impose pour bien comprendre la position d’Apple par rapport à l’état actuel du marché et ainsi y déceler les ambitions d’Apple.

  1. Les forces d’Apple sur le marché du mobile gaming
Market share of mobile game revenue worldwide from 2014 to 2020, by country (Statista, 2021)
  • Une clientèle plus encline à réaliser des achats d’applications et des achats in-app, s’expliquant entre autres par une plus forte concentration d’iPhones dans les pays développés (A fin 2020, la part de marché de l’iPhone était de 48% aux USA et au Japon, et 46,7% au Royaume-Uni et en Australie) ;
  • Une forte présence de jeux freemium à succès avec des achats in-app récurrents (exemple : PUBG) ;
  • Les SoC propriétaires équipant les appareils mobiles d’Apple sont les plus puissants du marché, permettant les expériences graphiques les plus avancées sur mobile ;
  • Le continuum de l’architecture technique des appareils Apple permet une haute compatibilité entre les différentes générations et catégories d’appareils, et seuls des ajustements à la marge par les développeurs pourraient être nécessaires ;
  • Une offre de jeux très importante, avec beaucoup de jeux de qualité qui bénéficient d’un éclairage via du content marketing dans l’App Store ;
  • L’intégration des processeurs Apple Silicon dans les Mac permet de jouer à des jeux mobiles sur Mac.

2. Les faiblesses d’Apple sur le marché du mobile gaming

  • La part de marché de l’iPhone dans les deux pays qui dépensent le plus dans le mobile gaming, après les USA et le Japon, à savoir la Chine et la Corée du Sud, est très faible par rapport à Android (Chine : 16,6%, Corée du Sud : 19%) ;
  • La part de marché des smartphones reste inférieure à celle d’Android dans de nombreux pays développés (25,3% en Allemagne et 24,5% France par exemple) ;
  • Une image de marque qui n’est pas forcément associée au gaming, contrairement à Microsoft, par exemple, qui a développé la marque Xbox au-delà des consoles avec le Game Pass et le xCloud. Ceci peut aussi être associé à un catalogue de jeux à gros budget très faible sur les Mac ;
  • Une offre de jeux très importante pouvant noyer de nombreux jeux de qualité, notamment des jeux premium sans achats in-app comme les portages de jeux consoles.

3. Les menaces pouvant freiner la croissance d’Apple sur le mobile gaming

  • Un marché chinois soumis aux aléas de conflits économiques ;
  • Une croissance constante des revenus du mobile gaming sur Android (+19% de 2019 à 2020), avec un rythme qui se rapproche de celui d’iOS (+22,7% de 2019 à 2020) ;
  • L’émergence du cloud gaming sur mobile avec plusieurs acteurs (Google, Amazon, Microsoft), accessibles via navigateur web ;
  • Beaucoup de jeux à succès ont un business model basé sur les loot box, pouvant être assimilés à des jeux de hasard, et posent donc des problèmes de légalité, notamment lié aux usages par les mineurs ;
  • L’amélioration des performances des SoC concurrents, notamment chez Qualcomm qui propose des SoC taillés pour le gaming avec des performances graphiques améliorées (gamme Snapdragon Elite Gaming) et les prochains Samsung Exynos couplés à une partie GPU conçue par AMD ;
  • La concurrence des smartphones Android conçus pour le gaming, proposant une série d’accessoires dédiés comme des manettes amovibles (exemple : Asus ROG Phone) ;
  • Qualcomm prévoirait de lancer une console semblable à la Switch (ajouté le 24/03/2021) ;
  • Les plaintes pour abus de position dominante comme celle déposée par Epic Games ;
  • Les chiffres de vente de la Nintendo Switch prouvent que les consoles portables peuvent tenir tête aux smartphones si elles offrent une flexibilité console de salon/portable.

4. Les opportunités pouvant maintenir, voire développer le gaming sur les appareils Apple

  • L’intégration d’une partie GPU PowerVR dernière génération avec Ray Tracing dans les prochains processeurs Apple Silicon pourrait favoriser la développement de jeux de qualité graphique supérieure et les portages de jeux consoles ;
  • L’unicité en termes d’architecture technique peut inciter les développeurs à porter leurs jeux sur tous les appareils Apple pour maximiser leurs profits, ce qui pourrait enrichir les catalogues de l’Apple TV et des Mac ;
  • Le développement d’accessoires “gamer” par Apple pourrait renforcer la perception des appareils Apple comme des machines propices au gaming;
  • Une communication plus régulière et plus présente sur les réseaux sociaux;
  • Une incitation aux portages de jeux consoles à succès ou adaptés à un marché porteur à travers une réduction de la commission Apple de manière temporaire ou permanente ;
  • Le développement d’expériences plus immersive en réalité augmentée grâce au LiDAR et d’un casque AR/VR.

Cette analyse a, à n’en pas douter, été réalisée par Apple, et elle n’est probablement pas exhaustive. Mon objectif est de faire la “rétroingénierie” de la conception du produit qu’Apple a mis en place pour assoir sa domination, adresser ses faiblesses et menaces et exploiter ses opportunités dans le mobile gaming. Ce produit n’est autre que l’Apple Arcade.

Le service Apple Arcade lancé à l’automne 2019 dans plus de 150 pays au sein d’un nouvel onglet de l’App Store sous iOS, macOS et tvOS.

Apple Arcade ou comment rendre ses lettres de noblesse au jeu mobile Premium

En Mars 2019, Apple annonce Apple Arcade, un service d’abonnement donnant accès à un catalogue de jeux vidéo jouables sur les appareils tournant sous iOS 13, iPadOS 13, tvOS 13 et MacOS Catalina ou versions ultérieures. Pour le lancement, Apple ne lésine par sur les moyens, et propose des jeux développés et/ou édités par de grands noms de l’industrie tels que Sega, Namco Bandai ou encore Square Enix, mais également des acteurs majeurs de la scène indépendante tels que Annapurna ou Klei Entertainment. La particularité de ces jeux est qu’ils sont accessibles indéfiniment tant qu’on est abonné, ils sont complets, sans achats in-app et sont compatibles avec les manettes MFi, mais aussi PS4|5, et Xbox One|Series. On se rapproche donc d’une expérience console, et en prime, on a une “ubiquité” des jeux, puisqu’ils sont jouables sur la majorité des devices Apple.

Pour analyser l’offre d’Apple, nous pouvons l’aborder via les 4P :

1. Une offre d’abonnement à un catalaogue de plus de 100 jeux sans achats in-app

Apple propose un large choix de jeux en tout genre (action-aventure, réflexion, RPG, sports…) et pour tous les âges. Apple choisit les éditeurs avec qui travailler et finance en partie leurs projets, probablement en échange d’une exclusivité permanente ou temporaire. Les projets sont évidemment approuvés en amont selon des critères bien définis. L‘argument fort de cette offre d’abonnement est la visibilité. En effet, les jeux premium sont souvent noyés dans les centaines de jeux freemium, or les jeux premium sont souvent de bien meilleures qualité, et issus de l’imagination fertile des développeurs indépendants. Cette visibilité prend toute son ampleur avec l’onglet dédié à Apple Arcade dans l’App Store, et elle bénéficie aussi bien au développeur dont le jeu est exposé dans une vitrine dédiée, qu’au consommateur qui trouve dans cette vitrine des jeux triés sur le volet, loin de l’océan de jeux free-to-play.

Grâce à sa stratégie de partenariat, Apple a doté son catalogue de titres éclectiques :

> Plusieurs jeux à licence de dessins animés sont proposés (Samurai Jack, Bob l’éponge,…) pour toucher les plus jeunes.

> Plusieurs jeux de sports sont proposés et bénéficiant des licences des principales fédérations sportives américaines pour toucher le marché américain.

> Plusieurs jeux développés par des studios japonais pour toucher le marché japonais en premier lieu, mais également les pays ayant une grande communauté de gamers friands de J-RPG et de Visual Novels. Sur ce point Apple a fait fort puisqu’ils ont négocié des jeux issus de studios japonais prestigieux ou de créateurs de renom tels que :

  • Various Daylife, développés par les créateurs de Bravely Default et Octopath Traveler
  • Fantasian, réalisé par Hironobu Sakaguchi, le créateur de la licence Final Fantasy
  • World’s End Club, par le réalisateur des Daganronpa.

> Des jeux de qualité provenant d’éditeurs majeurs de jeux indépendants comme Annapurna (Sayonara Wild Hearts noté 88% sur Metacritic) et Devolver.

> Des jeux de développeurs indépendants ayant produit des jeux mobiles reconnus pour leur qualité tels que usTwo à l’origine de Monument Valley, et qui a produit Alba : A Wildlife Adventure pour Apple Arcade (84% sur Metacritic).

Le catalogue de l’Apple Arcade est compatible avec tous les devices Apple équipés d’un écran ou pouvant se brancher à un écran (Mac Mini et Apple TV). Toutefois, l’iPhone est l’appareil Apple le plus répandu sur la planète et se retrouve donc le vecteur principal de souscription à l’abonnement Apple Arcade. De ce fait, les développeurs doivent tailler leur jeux pour être jouables prioritairement sur un smartphone, et doivent, donc, se contenter de l’interface tactile. Autrement dit, un jeu qui nécessite 10 boutons, ne passera pas sur un smartphone. Bien que, la puissance technique des appareils Apple soit capable de proposer des jeux aux graphismes de haute volée, il demeure néanmoins une limitation ergonomique, qui pourrait empêcher à l’Apple TV, aux iPad de grande diagonale et aux Mac de bénéficier de jeux consoles. Apple avait même comparé la puissance l’iPad Pro à une Xbox One S durant la keynote de fin 2018.

2. Plus de 100 jeux au prix moyen d’un jeu mobile par mois

Le coût de l’abonnement Apple Arcade s’élève à 4,99€/mois, avec 1 mois d’essai gratuit en standard, et 3 mois pour les acquéreurs d’un nouveau Mac. Cet abonnement est intégré à l’offre Apple One qui comprend, en sus de l’Apple Arcade, Apple TV+, Apple Music et 50 Go d’iCloud pour 14,99€/mois. Seul ou intégré à Apple One, cette offre est très compétitive par rapport à ce qui est proposé sur le marché du jeu vidéo de manière générale. A noter que l’abonnement bénéficie du partage familial, et il peut donc être utilisé par jusqu’à 5 membres.

Aussi, tous les jeux Apple Arcade sont complets, sans achats in-app et sans publicité. Une particularité sur laquelle Apple insiste puisque la plupart des jeux mobiles à succès sont des freemium avec des achats in-app, qui sont parfois mal vus par la communauté des gamers car pouvant devenir des gouffres financiers. Il s’agit notamment des jeux dont les achats sont basés sur des loot box, qui proposent des récompenses au hasard contre un paiement. Ce type de jeux est au coeur de polémiques actuellement, et font l’objet de poursuites judiciaires et de débats politiques, car ils sont assimilés à des jeux de hasard et sont sujets aux addictions. Apple a, d’ailleurs, été attaqué en justice pour le fait d’autoriser ce genre de jeux sur son App Store. Aussi, les jeux gratuits proposant des publicités détériorent l’expérience de jeu avec des publicités intempestives et ne pouvant être interrompues qu’après une dizaine de secondes a minima.

3. Une communication basée sur les temps forts d’Apple et des publicités via YouTube

Apple fait la promotion de l’Apple Arcade durant ses keynotes, notamment lors de son annonce et de son lancement. Les autres principaux canaux de promotion sont YouTube à travers des capsules publicitaires pour annoncer l’arrivée de jeux ou faire un focus sur un jeu en particulier, ainsi que Twitter pour une actualité régulière. Hormis, ces canaux externes à l’écosystème Apple, l’Apple Arcade bénéficie d’une mise en évidence sur la page d’actualité de l’App Store, et à l’intérieur même de la section Jeux alors que l’Apple Arcade possède sa propre section.

Au-delà, de ces canaux, il n’y a pas de mise en avant particulière dans les Apple Store ou dans les espaces Apple des revendeurs agréés. Aussi, il n’y pas de communication particulière via les médias spécialisés de jeux vidéo, sur Instagram ou les vidéastes YouTube et Twitch.

4. Une distribution uniquement via l‘App Store

La souscription à l’Apple Arcade se fait uniquement via l’App Store et les jeux ne peuvent être joués que sur les appareils Apple tournant sous iOS 13, iPadOS 13, tvOS 13 et MacOS Catalina ou versions ultérieures.

Une concurrence sur tous les fronts

1. Concurrence mobile, le grand rival passe à l’offensive

Côté mobile, Google n’a pas tardé à passer à l’offensive avec l’annonce du “Google Play Pass”, une offre d’abonnement à un catalogue de plus de 300 jeux premium alignée sur le tarif de l’Apple Arcade sur l’offre mensuelle, à savoir 4,99€/mois. Par contre, Google est plus compétitif sur l’offre annuelle avec un tarif de 29,99€ contre 49,99€ chez Apple. Contrairement à Apple Arcade, il n’y a pas d’exclusivités sur le Google Play Pass, mais des jeux, d’ores et déjà, disponible dans la section du Play Store. L’offre de Google propose des jeux de qualité et acclamé par la critique comme Stardew Valley, Limbo, Star Wars : KOTOR, Monument Valley et bien d’autres. Néanmoins, ces jeux existent déjà depuis plusieurs années sur les stores d’Apple et Google.

Il existe également une offre alternative d’abonnement à des jeux mobiles accessible via l’App Store et le Google Play, nommée GameClub. Cette offre propose également des jeux sans achats in-app et ni publicité à 4,99€/mois, mais la qualité et l’envergure des jeux est très en-deçà des jeux Apple Arcade et Google Play Pass.

2. Cloud gaming sur mobile : les autres GAFAM sur le nuage

Google avec Stadia, Amazon avec Luna, Microsoft avec xCloud, et Facebook avec Facebook Gaming, ils ont tous leurs service de cloud gaming. Si les trois premiers proposent, peu ou prou, un contenu similaire avec essentiellement des jeux triple AAA que l’on trouve habituellement sur PC et consoles, Facebook en est encore dans une phase d’essai avec des jeux mobile comme Asphalt. Google, Amazon et Microsoft ont les propositions les plus matures aujourd’hui, avec des déploiements, d’ores et déjà, effectués (pour Amazon et Microsoft, c’est encore des phases de bêta, et Amazon est encore cantonné aux USA). Néanmoins, leurs business model diffèrent :

  • Amazon propose le service Luna, un accès illimité à un catalogue de jeux via un abonnement, qui peut être étendu à des bouquets supplémentaires, moyennant un surcoût. Par exemple, le bouquet Ubisoft donnant accès aux jeux de la firme française.
  • Google propose, Stadia, un catalogue de jeux à acheter à l’unité comme sur boutique type Steam. Il est également possible de souscrire à un abonnement donnant accès à deux jeux par mois.
  • Microsoft propose le xCloud comme un service intégré à l’offre d’abonnement Xbox Game Pass Ultimate qui donne déjà accès à un catalogue de jeux à télécharger sur Xbox One S/X, Xbox Series S/X et PC Windows 10.

La particularité de ces trois offres, c’est qu’elles seront toutes accessibles via le navigateur Safari sur iOS et iPadOS. A noter que Google connaît des diffcultés avec Stadia, du fait d’un business model peu encourageant pour le client qui se voit acheter des jeux qui ne sont jouables que si le débit de la connexion le permet. Hormis ces acteurs, il est à noter que Sony propose le PS Now depuis de nombreuses années, mais n’est accessible que via une console Playstation ou sur PC.

3. Consoles et PC, les vétérans indétrônables

Avec la possibilité de jouer aux jeux Apple Arcade sur Apple TV et Mac, l’ajout de la compatibilité des manettes PS4/5 et Xbox One/Series en plus des MFi, et la proposition de jeux habituellement lancés sur PC et consoles comme Shantae, Apple essaie, bel et bien, de gratter des parts de marché aux plateformes classiques de jeux vidéo (stratégie de pénétration). Mais peut être que le concurrent direct d’Apple est finalement Nintendo, en particulier sur le marché des jeux indépendants et des jeux multi-joueurs. En effet, la firme de Kyoto propose la Switch, une console de salon, convertible en console portable, or Apple Arcade est jouable aussi bien sur iPhone et iPad que sur Apple TV. Il est aussi possible de relier l’iPhone ou l’iPad à l‘écran de télévision via un adaptateur HDMI ou AirPlay. De plus, la Switch est devenue la destination de choix des jeux indépendants et les Nintendo Direct en fait la promotion systématiquement. Néanmoins, les consoles jouissent de leurs statuts de machines spécialisées et offrent un catalogue de jeux dédiés, des exclusivités par constructeurs, et le confort de jeu à la manette.

Apple Arcade : une montée en gamme et une meilleure visibilité s’imposent pour faire face à la concurrence

1. Un besoin de diversifier l’offre et de monter en gamme

Le catalogue Apple Arcade comporte des jeux exclusifs de qualité, pour tous les goûts, et à un prix avantageux. Toutefois, il y a trois éléments qui souffrent de la comparaison avec la concurrence :

  • Apple Arcade ne propose pas de jeux vendus dans l’App Store, a contratrio du Google Play Pass, ou encore du Xbox Game Pass qui proposent des jeux que l’on peut acheter séparément.
  • Les exclusivités proposées par l’Apple Arcade sont temporaires, et vont se retrouver sur PC et consoles une année après leur publication. En comparaison à Nintendo ou Sony, les jeux de leurs studios internes restent cantonnées à leurs consoles (même si la donne commence à changer pour Sony, qui multiplie de plus en plus les portages sur PC, mais pas sur les consoles concurrentes).
  • Les jeux proposés dans l’Apple Arcade sont des jeux à petits budgets, avec une grande majorité de jeux indépendants, qui même si ils ont le vent en poupe, restent des jeux qui misent sur leur créativité et la direction artistique, et très peu sur la richesse graphique. En novembre 2018, durant la keynote, Apple annonce que le SoC A12X confère à l’iPad Pro, une puissance équivalente à la Xbox One S. Aujourd’hui, nous sommes à la génération A14 du SoC d’Apple, et pourtant aucun jeu ne semble exploiter à sa juste mesure ces processeurs.

2. Une communication qui doit multiplier ses canaux

Hormis les publicités publiées sur la chaîne YouTube d’Apple et le compte Twitter, Apple Arcade n’est pas présent sur d’autres canaux :

  • En plus de YouTube et Twitter, Nintendo, Playstation et Xbox sont présents et très actifs sur Facebook et Instagram, et les deux derniers sont présents sur TikTok.
  • Lors du lancement des PlayStation 5 et Xbox Series, les constructeurs ont envoyé des consoles aux principaux médias et vidéastes/influenceurs de jeux vidéo pour qu’ils les présentent sur leurs chaînes Twitch ou YouTube. Les éditeurs de jeux vidéo envoient des codes de téléchargement de jeux sur le point d’être commercialisés afin d’en faire le test.

Apple Arcade : quatre stratégies potentielles, conditionnées par le contenu et “ les contenants”

Initiatives transverses : Renforcement de la communication et création d’une application hub Apple Arcade

Avant d’aborder les différentes stratégies proposées, deux initiatives devraient dans tous les cas être entreprises pour assurer la croissance de l’offre Apple Arcade :

  1. Amélioration de l’expérience utilisateur via une app dédiée

La création d’une application dédiée au gaming sur les produits Apple permettrait d’établir un écosystème dédié au jeu vidéo pour conférer la perception d’être sur console. Il s’agirait d’un hub rassemblant les jeux Apple Arcade, les jeux vendus sur App Store et le Game Center (amis et les réalisations). Ce type d’application existe déjà pour le streaming vidéo avec l’application Apple TV qui agrège Apple TV+, les services tiers, et les films et séries achetés via iTunes. Cette application recentrerait l’activité gaming dans un hub dédié et ergonomique. L’échec de la Xbox One était en partie dû à une communication se focalisant sur les aspects multimédia, ce qui a dispersé l’intérêt des joueurs ne la voyant plus comme une console.

2. Diversification des canaux de communication et établissement d’une communauté Apple Arcade

Apple devrait lancer un compte Instagram dédiée à Apple Arcade, à l’instar de ce qui est déjà fait pour Apple TV+, mais également un compte TikTok afin de toucher les plus jeunes. A l’instar des constructeurs de consoles et des éditeurs, il serait judicieux de fournir des machines, un abonnement Apple Arcade et éventuellement un sponsoring, à des influenceurs afin que ceux-ci en fassent la promotion auprès de leurs auditeurs. Il faudrait également renforcer la communication dans les Apple Store et chez revendeurs agréés type Fnac avec la mise en place d’un espace dédié autour d’un Apple TV de démonstration. Enfin, à l’instar de Nintendo, Xbox et Playstation, qui ont tous les trois des plateforme de vente en ligne de vêtements et accessoires, Apple pourrait faire de même autour d’Apple Arcade afin de renforcer l’aspect communautaire.

Stratégie 1 : Poursuite de la stratégie actuelle

Cette stratégie consiste à continuer à investir dans des exclusivités temporaires à petit budget auprès de gros éditeurs (Sega, Square Enix,…) et des développeurs indépendants les plus prisés, et à poursuivre avec la formule d’abonnement actuelle. Une veille devrait également être mise en place pour détecter les signaux faibles sur des jeux à fort potentiel, tel que Among Us qui a connu le succès plus d’un an après sa sortie iOS/Android, via les streameurs. Cette veille doit également se faire sur les jeux PC via les tendances Steam par exemple. Enfin, il serait intéressant de se rapprocher de game designer connu qui se sont lancé en freelance, comme Ikumi Nakamura qui a récemment quitté Tango GameWorks pour se lancer à son compte.

Stratégie 2 : Poursuite de la stratégie actuelle (Stratégie 1) et introduction d’accessoires pour les gamers

Cette stratégie consiste à renforcer les aspects gaming des produits Apple dans l’esprit des consommateurs à travers la commercialisation d’accessoires visant à améliorer l’ergonomie des sessions de jeu. Il s’agit notamment de proposer une manette estampillée Apple, avec un bouton donnant un accès direct à un hub regroupant les jeux Apple Arcade (à l’instar de l’onglet Apple TV+) et au Game Center. Apple pourrait également proposer un dock permettant l’upscale en 4K des jeux sur iPhone/iPad vers la télévision et l’accès automatique au hub sus-cité. Aussi, des bundles “Arcade” contenant l’Apple TV avec une manette et 3 mois d’Apple Arcade serait judicieux.

A noter que des gammes d’accessoires ont vu le jour chez des constructeurs tiers comme GameVice, SteelSeries et Razer, leur succès ou échec reste flou.

Stratégie 3: Renforcement des acquis (Stratégie 1) et enrichissement et diversification du catalogue de jeux

  1. Trouver ses “System sellers

Dans toute l’histoire des micro-ordinateurs et des consoles, c’est l’offre en softwares, en quantité et en qualité, qui va conditionner l’avenir de la machine. Parfois, deux ou trois applications uniquement peuvent légitimer l’achat d’une machine, c’est ce que l’on appelle les “killer apps”. Côté console, on parle également de la notion de “System seller”, autrement dit un jeu qui à lui seul, va justifier l’achat de la console, comme c’est le cas des jeux Mario et Zelda chez Nintendo ou Gears of War et Halo chez Xbox.

Aujourd’hui, à l’ère des abonnements, l’enjeu est double pour Apple : vendre des abonnements Apple Arcade aux possesseurs d’appareils Apple et pousser les gamers sous Android à passer sous iOS/iPadOS par attraction à Apple Arcade. Pour cela, il faut renforcer le contenu et s’approprier des “system sellers”, qui devront être des exclusivités, voire des exclusivités permanentes. Le prochain jeu de Hironobu Sakaguchi, par exemple, “Fantasian” pourrait bien constituer le fer de lance de l’Apple Arcade en attirant les fans de J-RPG, à condition que les critiques soient dithyrambiques.

2. Intégrer des jeux déjà publiés sur le store

A l’image du Google Play Pass et le Xbox Game Pass, il serait judicieux de faire entrer certains jeux triés sur le volet dans l’offre Arcade. Des jeux comme Monument Valley, Dead Cells, Wonder Boy, ou encore Bloodstained sont des jeux acclamés par la critique et qui toute leur place dans ce service d’abonnement qui a pour but de donner de la visibilité à d’excellents jeux perdus dans la profusion de free-to-play des stores mobile.

Enfin, certains jeux sont publiés sur l’App Store japonais, mais arrivent en occident sur consoles et PC uniquement mais pas sur les App Store occidentaux. C’est le cas de 428 : Shibuya Scramble, qui a été très bien accueilli par la critique, et de ce fait, pourrait faire l’objet d’une intégration dans Apple Arcade.

3. Créer une section retrograming

Le retrogaming a le vent en poupe. Jouant sur la nostalgie des trentenaires et quarantenaires qui ont grandi avec les consoles des années 80 et 90, les compilations, les remakes, les consoles mini ont foisonné ces dernières années et avec un succès certain. Des jeux rétro existent déjà dans l’App Store (Sega, SNK, Dotemu, Bethesda…). L’ajout d’une section rétro avec des jeux provenant de l’App Store ou d’autres après négociation avec les éditeurs, pourrait constituer un argument imparable auprès des joueurs nostalgiques. De plus, ces jeux demandent un nombre de boutons limité ce qui s’accorderait avec des boutons tactiles et surtout ne demandent qu’une faible puissance GPU.

4. Proposition de jeux à plus gros budgets

Les capacités techniques des SoC permettent indéniablement de proposer des jeux bien plus élaborés que les jeux actuellement disponibles dans l’Apple Arcade, voire dans l’App Store en général. Ainsi, des portages de jeux consoles triple AAA sont largement faisables, et la Nintendo Switch en est la preuve, même si pour cette dernière le downgrade est important. Si la limitation ergonomique des écrans tactiles devient un frein, il faudrait au lancement du jeu en question, mettre un avertissement sur la nécessité d’une manette pour jouer. Ces jeux peuvent être accessibles à une offre complémentaire au Apple Arcade actuel et qui pourrait s’appeler “Apple Arcade+” ou “Apple Arcade Pro” par exemple, moyennant une tarification plus importante, de l’ordre de 9,99 €/mois.

A noter qu’à l’époque de l’iPhone 4, des jeux comme Infinity Blade étaient des vitrines techniques pour démontrer les capacités graphiques supérieures de l’iPhone 4 qui était le premier appareil à être équipé de la puce maison d’Apple.

5. Ajout de jeux ayant un pouvoir de rétention

L’Apple Arcade doit se doter d’un jeu qui va retenir le joueur et de ce fait, le pousser à rester inscrit à l’Apple Arcade. Ce type de jeu sont essentiellement des jeux multijoueurs avec des mises à jour fréquentes, en termes de renouvellement de quêtes ou d’octroi de récompenses régulières. Il s’agit ici notamment de jeux du type MMORPG, MOBA et battle royale, qui ont en plus un aspect compétitif pouvant se traduire par des tournois e-sports. Aussi, le format épisodique comme les jeux TellTale ou Life is Strange peut pousser le joueur à poursuivre son abonnement.

Stratégie 4 : Renforcement de la stratégie actuelle (Stratégie 1), diversification et montée en gamme de l’offre (Stratégie 3) et commercialisation d’un hardware gaming (Stratégie 2)

Ce stratégie consiste à combiner les trois scénarios sus-cités, voire à aller plus loin dans l’élaboration du hardware, comme par exemple proposer une Apple TV Arcade Pro qui aurait une taille similaire au Mac Mini avec une puce Mxx, plus puissante que les puces Axx, et qui serait accompagné d’une manette, et ce, afin de faire tourner les jeux triple A au maximum de leurs paramétrages graphique. Le lancement d’un casque AR/VR entrerait également en ligne de compte avec le lancement des jeux appropriés dans l’Apple Arcade.

Conclusion

La croissance constante d’Android sur le mobile gaming, qui est renforcée par des initiatives hardware (collaboration Samsung-AMD, Qualcomm SnapDragon Elite Gaming,…) fait partie des menaces pour Apple. Au-delà des menaces, Apple détient plusieurs opportunités et forces qui lui permettraient de marcher sur les plates-bandes des consoles de jeux. Ainsi, les raisons ayant motiver Apple à lancer Apple Arcade sont pléthore, mais comme constaté, il demeure néanmoins de nombreux axes d’amélioration. Par ailleurs, le choix de ne pas se lancer dans le cloud gaming s’est révélé judicieux au vu de la couverture de la fibre, et les difficultés liées à la 5G (couverture très faible, abonnements onéreux, réduction drastique de l’autonomie des smartphones,…).

Au vu des différentes stratégies évoquées plus haut, il semblerait que les stratégies 3 et 4 soient les plus appropriées si Apple souhaite à moyen terme, confirmer sa domination sur le mobile gaming, mais surtout s’approprier des parts de marché console. La stratégie 3 est la moins risquée des deux en termes d’investissement, mais elle ne procurera, peut être, pas une image suffisamment orientée “gamer”. A ce stade, un business modelling est nécessaire pour les deux stratégies pour identifier, notamment, les modalités de rémunération d’Apple et les commissions côté nouveaux software, et le positionnement tarifaire du hardware dans le scénario 4. Pour les deux stratégies, un scénario optimiste et un autre pessimiste permettront enfin de qualifier la viabilité des projets.

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