Apple, un GAFAM pas comme les autres

Selim Salem
19 min readFeb 4, 2021

Chapitre 2 : Une pomme difficile à éplucher (Partie 1)

“Privacy means people know what they’re signing up for, in plain English, and repeatedly. […] People wanna share data more than other people do… ask’em ! ask’em everytime, make them tell you to stop asking them if they get tired of you askin’ them. Let them know precisely what you’re gonna do with their data.”

C’est en ces termes que Steve Jobs avait conclu sur le sujet de la confidentialité lancé par l’animateur de la D8 Conference en 2010. Six ans plus tard, le Parlement Européen adopte définitivement le RGPD, permettant d‘imposer cette pratique, consistant à préciser la finalité de la collecte des données personnelles et à obtenir la consentement explicite et positif de l’utilisateur quant à la collecte et au traitement de ces données. Apple avait déjà mis en oeuvre cette pratique sur ses appareils dès 2010, ce qui parlera aux utilisateurs d’iPhone, qui doivent à chaque démarrage de l’appareil, configurer les paramètres de partage de données avec Apple et les développeurs tiers.

A l’heure où j’écris ces lignes, c’est certainement le moment le plus opportun pour parler du sujet de la confidentialité avec d’un côté le renforcement de la vie privée et de la sécurité sur les appareils Apple, et de l’autre Facebook qui se retrouve dans une énième controverse avec l’amplification du partage des données WhatsApp avec le réseau social Facebook.

Facebook et Google : Les données personnelles au coeur du business model

Facebook et Google ont bâti leur fortune grâce à la vente de publicité, et plus précisément la publicité ciblée. En 2017, les revenus générés par la publicité représentaient 97% pour Facebook et 88% pour Alphabet (Google). Autant dire, qu’il s’agit là du coeur même de leurs modèles d’affaire, et avec une base d’utilisateurs qui se compte en milliards, ils sont devenus des passages obligés pour les annonceurs, et font actuellement l’objet d’enquêtes et de procès anti-trust. Une entente entre les deux géants conclue en 2018 aurait même été révélée, justement en prévision d’éventuels futurs procès d’abus de position dominante.

En résumé, Facebook et Google proposent des services perçus comme gratuits, mais dans les faits, les utilisateurs payent, en quelques sorte, avec leurs données personnelles. Ces données personnelles captées sont de natures très diverses : données socio-démographique, comportementale, géographique, communautaire, … La combinaison de ces données permet d’élaborer des profils publicitaires dans le but d’établir ce qu’on appelle le “ciblage marketing”, et notamment du “Microtargetting”, un terme devenu célèbre suite à l’affaire Cambridge Analytica. Ainsi, l’utilisateur verra des publicités correspondant à ses centres d’intérêt, son idéologie, ses envies et projets,… et sera plus susceptible de cliquer sur l’annonce et éventuellement passer à l’achat. De ce fait, cette technique marketing pose des questions éthiques et morales.

Les moyens de capturer ces données, y compris les métadonnées, sont au coeur du quotidien des internautes :

  • le navigateur web via les cookies des sites visités (tel que Google Chrome) ;
  • le moteur de recherche, particulièrement Google avec lequel la connexion au compte Google (Gmail) permet de combiner tous les historiques de recherche et les géolocalisations ;
  • les réseaux sociaux (comme Facebook et YouTube);
  • certains services de messagerie (tels que Messenger, GMail et HangOut);
  • diverses applications partageant également des données via des API, comme Waze qui appartient à Google ;

Mais il manque à cette liste le moyen le plus complet pour récoler les données et qui permet en plus de faire tourner toutes ces applications citées ci-dessus : il s’agit du système d’exploitation. En effet, une étude publiée en 2018 sur les collectes de données effectuées par Google, a révélé qu’un smartphone sous Android, prélevait jusqu’à 10 fois plus en moyenne de données personnelles qu’un iPhone, voir même 50 fois plus lorsqu’il s’agit de l’usage de Chrome sur Android comparé à Safari sur iPhone. Autre fait édifiant, un smartphone sous Android en mode veille envoie environ 40 informations par heure à Google, contre 4 pour un iPhone vers les serveurs d’Apple. Pour un usage normal, cette quantité d’information monte à 90 par heure pour Android contre 18 pour iOS. Mais le fait le plus troublant, c’est que Google collecte plus de données personnelles auprès des utilisateurs d’iPhone qu’Apple lui-même lors d’une utilisation normale des applications Google sur iPhone.

Cette étude a, par ailleurs, motivé l’association de défense des consommateurs, UFC-Que Choisir, à lancer mi-2019, une procédure judiciaire contre Google devant le TGI de Paris pour violation de la réglementation sur la protection des données personnelles (RGPD). La plainte porte notamment sur l’exploitation des données des utilisateurs d’appareils Android et titulaires d’un compte Google, pour lesquels l’association demande une indemnisation individuelle de 1 000 euros.

La nature des données prélevées par Google est très diverse : historique des recherches, historique YouTube, géolocalisation, informations sur toutes les applications et autres extensions de navigateur web que vous avez pu utiliser, y compris la fréquence, le lieu, et l’usage. Ces éléments combinés au sexe, âge, centres d’intérêt et profession, Google élabore un profil publicitaire servant à déterminer les publicités qu’il vous affichera à travers ses applications comme le moteur de recherche, GMail ou YouTube.

Hormis les collectes de données effectuées par Google, les constructeurs commercialisant des appareils sous Android, peuvent également en faire de même puisqu’il peuvent rajouter leurs propres surcouche logicielle et applications du fait de l’ouverture d’Android. L’affaire OnePlus en 2017 avait révélé un prélèvement des données personnelles, sans autorisation préalable, et qui plus est, non anonymisées lors de leurs envois vers les serveurs du constructeur. Ou encore l’affaire Xiaomi, révélant en Mai 2020, une collecte de données abusive, non anonymisée et mal chiffrée, même en navigation privée. Ce type de dérives a poussé 50 organisations américaines à signer une pétition dans laquelle elles appellent Sundar Pichai, PDG de Alphabet, maison mère de Google, à prendre des mesures contre les logiciels pré-installés sur les appareils Android qui exploitent les données des utilisateurs. La liste de signataires comprend des ONG telles que Privacy International ou Amnesty International mais aussi du moteur de recherche alternatif DuckDuckGo.

Par ailleurs, Google a fait l’objet de plusieurs condamnations comme en 2018 suite à la plainte de 23 organisations de défense des droits numériques et de protection de l’enfance auprès de la FTC ayant débouché sur une amende de 170 millions de dollars ou encore l’amende infligée par la CNIL de 50 millions d’euros en 2019.

Concernant Facebook, la collecte des données va passer notamment par les moyens suivants :

  • les informations saisies et téléversées par les utilisateurs de Facebook et Instagram;
  • les cookies dans les navigateurs web;
  • Les applications tierces proposant l’inscription via le compte Facebook ou des applications envoyant des informations à Facebook;
  • les casques de réalité virtuelle Oculus (pour lesquels les comptes Facebook sont obligatoires);
  • certaines informations dans WhatsApp;

Facebook s’est retrouvé au coeur de multiples polémiques concernant sa boulimie des données personnelles, mais également autour du fonctionnement de ses algorithmes de ciblage, et enfin pour des problèmes liés à la sécurisation des données de ses utilisateurs. En voici quelques exemples marquants :

  • Jusqu’en août 2019, Facebook a eu recours à des centaines de prestataires afin d’écouter et retranscrire les messages audio envoyés via Messenger. Le but aurait été de vérifier si l’intelligence artificielle interprétait correctement les messages vocaux, qui étaient anonymisés.
  • Damian Collins, président de la DCMSC de la Chambre des Communes britanniques a émis un rapport en 2018 qui prouverait la vente par Facebook des données personnelles des utilisateurs à des tiers. Ce rapport comprend notamment 250 pages d’emails internes constituées comme preuves. Facebook aurait conclu des accords avec plusieurs entreprises afin de leur octroyer “un accès total aux données des amis des utilisateurs ” du réseau social. Pourtant, la firme avait promis de mettre un terme définitif à ces pratiques en 2015. Selon certains mails compris dans le rapport, Facebook aurait collecté les données des utilisateurs du service VPN Onavo pour Android à leur insu afin d’étudier la façon dont ils l’utilisent (ce qui est un comble pour un VPN).
  • Une enquête de NBC parue en Avril 2019, reposant sur 4 000 pages de documents, montre comment Facebook a partagé les données de ses utilisateurs avec certaines entreprises et pas d’autres. Si certains clients de Facebook s’étaient vu interdits d’accès aux données, c’étaient soit que leurs business était trop proche, soit considéré comme concurrent de celui du réseau social. Le choix des partenaires privilégiés était basé sur des relations d’amitié ou de sympathie entre les dirigeants. Ainsi, Amazon, Sony, Microsoft ou encore Tinder pouvaient exploiter les données personnelles de millions d’utilisateurs de Facebook.
  • L’affaire Cambridge Analytica avait mis en évidence les failles liés à la connexion via Facebook, qui avait permis de siphonner un nombre important de données dont les informations renseignées comme le sexe ou l’âge, les activités sur Facebook, comme les likes, et enfin, les utilisateurs “amis” de l’utilisateur et leurs données. A partir des 32 000 personnes qui avaient répondu au quizz de personnalité puis s’étaient connecté via Facebook, Cambrige Analytica a pu aspirer les données de 50 millions d’utilisateurs.
  • Les conversations groupées WhatsApp étaient indexées sur les moteurs de recherche permettant également d’obtenir les numéros des participants, voir de les identifier.
  • A l’heure où j’écris ces lignes, 533 millions de numéros de téléphone d’utilisateurs Facebook ont été mis en vente via un bot payant sur Telegram. Ces numéros proviendrait d’une fuite liée à une faille de sécurité de 2019 et qui permettait de collecter les numéros en masse. En 2018, c’étaient les données de 29 millions de comptes qui avaient fuité et en 2019, plus de 400 millions de données utilisateurs ont été exposé car stocké sur un serveur non protégé par mot de passe. Ces fuites comprennent notamment les numéros de téléphone des utilisateurs.
  • Les algorithmes de Facebook ont tendance à polariser ses utilisateurs. Une enquête du Wall Street Journal publiée en Mai 2020 a révélé que l’entreprise savaient que ses différents algorithmes encourageaient la polarisation en exploitant la préférence du cerveau humain pour les informations appuyant son idéologie. En effet, ces tendances ont été mises en évidence par un rapport interne, datant de 2016, qui concluaient que 64 % des adhésions à des groupes considérés comme radicaux étaient dues aux outils de recommandation de Facebook. Malgré cela les dirigeants ont volontairement ignoré des solutions proposées pour atténuer ce phénomène.

Par ailleurs, une étude publiée par l’Université Princeton en 2018, mettait en garde sur l’usage de la connexion via Facebook, notamment sur les sites et applications peu ou pas connues, car cela représentait une risque d’usage malveillant des données partagées via Facebook.

Facebook, tout comme Google, a fait l’objet de plusieurs condamnations liées au traitement des données personnelles :

  • Facebook et la FTC ont conclu un accord amiable en 2019 aboutissant à une amende de 5 milliards de dollars. Cette amende fait suite à une enquête de la FTC sur le respect de la vie privée sur Facebook, ouverte à l’issue du scandale Cambridge Analytica. Outre-Atlantique, de nombreux élus ont levé la voix considérant que la FTC a été bien trop clémente, et que le montant de l’amende était trop faible.
  • Facebook Ireland a été condamnée à verser 30 000 euros à UFC-Que Choisir pour de multiples clauses jugées abusives et illicites.
  • En 2017, la CNIL condamne Facebook à 150 000 euros d’amende pour de “nombreux manquements” à la loi Informatique et Libertés, en particulier à des fins publicitaires. «Il a notamment été constaté que Facebook procédait à la combinaison massive des données personnelles des internautes à des fins de ciblage publicitaire. Il a aussi été constaté que Facebook traçait à leur insu les internautes, avec ou sans compte, sur des sites tiers via un cookie», explique la Cnil dans un communiqué.
  • Fin 2017, la CNIL avait par la suite ordonné à Whatsapp d’encadrer ses transferts avec Facebook. Whatsapp répond à cette mise en demeure que “très peu de données” sont envoyées à Facebook, or la Cnil a constaté que la messagerie transmettait à Facebook des données concernant ses utilisateurs en particulier les numéros de téléphone et informations relatives aux habitudes d’utilisation, et ce, sans demander leur consentement préalable, et sans la possibilité de s’y opposer autrement qu’en supprimant leur compte WhatsApp. Ceci démontre donc que la récente affaire concernant Whatsapp qui a provoqué un exode d’ampleur vers des messageries alternatives, a, en réalité, bénéficié d’un coup de pouce des réseaux sociaux, notamment Twitter où Elon Musk a appelé à l’usage de Signal. Par ailleurs, Whatsapp pourrait écoper d’une amende record de 50 millions d’euros pour transgression du RGPD par l’autorité de protection des données irlandaises (Data Protection Commission).

Tous ces démêlés avec les autorités publique ne sont que quelques exemples parmi d’autres.

Une pomme bien ferme concernant la confidentialité

Contrairement à Facebook et Google, Apple n’est pas une société tirant ses profits des annonceurs. Si l’entreprise tire plus de 80% de ses revenus de la vente de hardware, notamment des iPhones, elle propose aussi des services, mais ils sont, soient gratuits et sans publicité lorsque l’on possède un appareil Apple, soient ils sont payants. En partant de cet état de fait, les données personnelles des utilisateurs qui seraient requises par Apple vont essentiellement concerner les identifiants et les usages sur l’appareil. En effet, la firme à la pomme n’a pas besoin de vos historiques de navigation sur les moteurs de recherche ou de vos affinités idéologiques, ni de ce que vous dites ou aimez sur les réseaux sociaux. Apple vous donne même le choix de partager ou pas vos données d’utilisation avec Apple dès le démarrage de l’appareil.

Apple n’est pas non plus blanc comme neige, et a eu quelques incartades ces dernières années concernant la collecte de données personnelles, mais celles-ci demeurent très minoritaires comparées aux révélations concernant Google et Facebook, et ont été résolues dans la foulée de leurs révélations. On citera notamment l’affaire Apple Music qui partageait des données liées à l’application avec des tiers et l’affaire des requêtes Siri écoutées par des sous-traitants pour améliorer l’assistant. Apple a depuis, bien au contraire, fait de la confidentialité et de la protection des données personnelles son cheval de bataille et l’un de ses principaux arguments de vente.

Affiche publicitaire à Las Vegas durant le CES 2019 : “Ce qui se passe dans votre iPhone, reste dans votre iPhone”

Apple a, année après année, durcit significativement sa politique de confidentialité sur ses appareils, et compte prochainement la pousser si loin qu’elle pourrait devenir un obstacle aux entreprises tirant leurs profits de la publicité ciblée telles que Facebook. D’ailleurs, ce dernier n’a pas hésité à hausser le ton lorsque Apple a annoncé la nouvelle fonctionnalité nommée “App Tracking Transparency” qui sera déployée en Mai 2021. Cette dernière consiste à afficher un message demandant à l’utilisateur si il souhaite partager ses données dès le premier lancement d’une application. Le but étant de réduire au minimum le pistage et donc la collecte des données personnelles.

Facebook a procédé à une première campagne publicitaire dans des journaux américains pour attaquer Apple sur le “App Tracking Transparency” en décembre 2020. Le réseau social invoque un argument consistant à dire que cette fonctionnalité serait préjudiciable aux petites entreprises car Facebook les aide à trouver de nouveaux clients grâce au ciblage publicitaire. Une seconde offensive publicitaire contre Apple via la presse une fois de plus, va cette fois clamer, dans les grandes lignes, que Apple s’attaque à l’internet dit “gratuit” car grâce aux annonceurs — notamment via la publicité ciblée—, les internautes ont accès à leurs sites web préférés gratuitement, et que leur pratique va rendre internet payant.

Ces campagnes de Facebook cherchant à jeter le discrédit sur Apple ont été jugées “risibles” par l’Electronic Frontier Foundation (EFF) qui dit :

Facebook a récemment lancé une campagne dans laquelle le réseau social se vante d’être le protecteur des petites entreprises. Il s’agit d’une tentative risible de la part de Facebook de vous distraire de son piètre bilan en matière de comportement anticoncurrentiel et de problèmes de confidentialité en tentant de faire échouer les changements en faveur de la vie privée opérés par Apple et qui sont mauvais pour les activités de Facebook.

Exiger des “trackers” qu’ils demandent votre consentement avant de vous pister sur Internet devrait être une évidence, et nous félicitons Apple pour ce changement. Mais Facebook, ayant construit un empire massif autour du concept de suivi de tout ce que vous faites en laissant les applications vendre et partager vos données avec un ensemble d’entreprises tierces suspicieuses, aimerait que les utilisateurs et les décideurs pensent le contraire.

[…]Facebook affirme que ce changement nuira aux petites entreprises qui bénéficient d’un accès à des services de publicité ciblés, mais Facebook ne vous raconte pas tout. Il s’agit en fait de savoir à qui profite la normalisation de la publicité basée sur la surveillance (indice: ce ne sont ni les utilisateurs, ni les petites entreprises), et ce que Facebook risque de perdre si ses utilisateurs en apprennent davantage sur ce que le réseau social et d’autres courtiers en données font dans les coulisses.

[…]De manière générale, AppTrackingTransparency est un grand pas en avant pour Apple. Lorsqu’une entreprise fait ce qu’il faut pour ses utilisateurs, l’EFF la soutiendra, tout comme nous allons sévir contre les entreprises qui agissent à leur encontre. Ici, Apple a raison et Facebook a tort. Étape suivante: Android devrait suivre leur exemple avec les mêmes types de protections. A vous de jouer Google.”

Des employés de Facebook ont eux-même critiqué les attaques faites à l’encontre de Apple dénonçant une forme d’hypocrisie. Aussi, la fondation Mozilla a, ardemment, soutenu Apple dans le déploiement de cette fonctionnalité :

La mise en œuvre prévue par Apple des fonctionnalités anti-tracking est une énorme victoire pour les consommateurs, dont beaucoup ne savent même pas qu’ils peuvent être suivis par les applications sur leur téléphone. En effet, un sondage Mozilla-Ipsos de 2019 a révélé que la moitié des utilisateurs d’iPhone ne savaient même pas que l’IDFA (identifiant de publicité) et la collecte de données par les applications existaient. De plus, les consommateurs qui savaient que l’IDFA existait, ne savaient toujours pas comment le réinitialiser. Désormais, avec la possibilité de désactiver le suivi au moment du lancement de l’application, les consommateurs n’auront plus à parcourir les paramètres de leur téléphone pour protéger leur vie privée.

Par ailleurs, Tim Cook, CEO d’Apple, a répondu à ces campagnes via un tweet:

“Nous croyons que les utilisateurs devraient avoir le choix concernant les données qui sont collectées à leur sujet et de la manière dont elles sont utilisées. Facebook peut continuer à pister les utilisateurs à travers les applications et les sites comme auparavant. App Tracking Transparency dans iOS 14 exigera simplement qu’ils vous demandent d’abord votre permission.” Tim Cook via Twitter, le 18 Décembre 2020

La querelle opposant Apple et Facebook au sujet de la collecte des données personnelles et du ciblage publicitaire n’est pas nouvelle.

En Novembre 2017, suite à l’enquête concernant l’influence des réseaux sociaux sur les élections américaines de 2016, notamment les publicités russes, Tim Cook a été interrogé sur ce sujet durant une interview par la NBC : “Je ne pense pas que le gros problème soit les publicités d’un gouvernement étranger. Je pense que cela représente 0,1 pour cent du problème, le plus gros problème est que certains de ces outils sont utilisés pour diviser les gens, manipuler les gens, diffuser des fakes news en grand nombre, afin d’influencer leur réflexion ».

Lors d’une interview par la MSNBC en Mars 2018, en marge de l’affaire Cambridge Analytica, Tim Cook a clairement défini la position d’Apple vis-à-vis de la confidentialité : “La vie privée est un droit de l’homme, c’est une liberté civile ‘[…] La vérité est que nous pourrions gagner une tonne d’argent si nous monétisions notre client, si notre client était notre produit. Nous avons choisi de ne pas faire cela.". De tels profils détaillés de personnes, avec “des informations personnelles incroyablement profondes qui sont compilées à partir de plusieurs sources” ne devraient pas être autorisés à exister, a déclaré Cook.

Apple CEO Tim Cook : “Privacy is Human Right” I MSNBC

A la suite de ces propos, Facebook avait demandé à ses employés de passer sous Android selon The New York Times. Cette requête a été reconnue par le réseau social qui a également déclaré que ce n’était pas corrélé aux propos de Tim Cook.

Aux dernières nouvelles Facebook envisagerait de porter plainte contre Apple pour pratiques anticoncurrentielles, notamment par rapport à la nouvelle fonctionnalité anti-pistage, que l’entreprise considère de l’abus de pouvoir sur le marché des smartphones.

Tim Cook a tenu, le 28 Janvier 2021, le discours d’ouverture de la seconde journée du cycle de conférences Computers, Privacy, and Data Protection (CPDP) organisée entre autres par le Conseil de l’Europe à l’occasion de la Journée de la protection des données. A noter que Tim Cook avait déjà participé en octobre 2018, à une conférence sur le même sujet à Bruxelles, et durant laquelle il a vanté les mérites du RGPD.

Le discours de Tim Cook a été sans équivoque. Il a une fois de plus fustigé ce qu’il appelle les “complexes industriels de la donnée”. Sans la nommer, Apple a fortement critiqué Facebook pour la diffusion et la promotion de fausses nouvelles, pour la polarisation des utilisateurs et donc à les faire tendre à un extrémisme pouvant mener à des insurrections telles que celles du Capitole à Washington. Il déclare notamment : « Si nous acceptons que tout dans nos vies puissent être compilées, nous perdrons bien plus que des données, nous perdrons la liberté d’être humain». Il fait encore une fois l’éloge du RGPD, qu’il décrit comme une “une fondation importante” pour le droit à la confidentialité “partout dans le monde”, et appelle même à son renforcement.

Apple a également publié sur leur portail dédié aux fonctionnalités de protection de la vie privée dans leurs appareils, un document nommé “A Day in the life of Your Data”. Ce document présente l’histoire d’un père et de sa fille de 7 ans dont les activités servent à présenter la collecte de données et de métadonnées par des applications que l’on utilise quotidiennement. La géolocalisation dans un parc, les usages d’applications tels que les jeux ou de traitement d’image, les posts sur les réseaux sociaux, l’achat d’une crème glacée, autant d’activités réalisées par les deux personnages, et qui représentent des canaux de prélèvement de données pour du ciblage publicitaire. En somme, une critique sans ambiguïté d’Android et des réseaux sociaux. D’ailleurs, à la fin du document, on trouve tous les moyens mis en oeuvre par Apple sur ses appareils pour prévenir ou contrecarrer les plans d’aspiration de données des applications utilisées par nos deux protagonistes.

Extrait du document “A day in the life of your Data” publié par Apple

Apple a, en effet, implémenté de nombreuses fonctionnalités sur ses appareils afin de renforcer la confidentialité des utilisateurs :

  • Navigateur web Safari : Apple a intégré l’Intelligent Tracking Prevention dans Safari utilisant l’apprentissage automatique sur l’appareil pour aider à bloquer les trackers. Il est également possible d’avoir un aperçu de tous les trackers entre les différents sites que Safari bloque en visitant votre rapport de confidentialité dans la barre d’outils. Les annonceurs peuvent également créer une «empreinte digitale» de votre appareil pour vous cibler en fonction de caractéristiques telles que la configuration de votre navigateur, les polices et les plug-ins que vous avez installés. Pour éviter cela, Safari dispose d’une défense intégrée contre les empreintes digitales, qui partage un profil système simplifié avec les sites Web que vous visitez ce qui rend encore plus difficile pour les entreprises collectant des données de vous identifier.
  • Apple Plans : l’alternative à Google Maps conçue par Apple, n’associe pas vos données à votre identifiant Apple et Apple ne conserve pas l’historique de vos déplacements. Des fonctionnalités personnalisées, comme la localisation de votre voiture garée, sont créées directement sur votre appareil. Les données utilisées pour améliorer la navigation, telles que les itinéraires et les termes de recherche, ne sont pas associées à votre identité. Au lieu de cela, ces informations sont basées sur des identifiants aléatoires qui changent constamment. Ajoutons à cela que le moteur de recherche DuckDuckGo, alternative de Google respectueuse de la vie privée, utilise Apple Plans pour donner des résultats de recherche géolocalisées.
  • Apple Photos : La reconnaissance faciale et la détection de scènes et d’objets se font entièrement sur l’appareil plutôt que dans le cloud. Apple ne sait donc pas ce que contiennent vos photos. Et les applications ne peuvent accéder à vos photos qu’avec votre permission.
  • iMessage et FaceTime : Les messages et conversations FaceTime sont chiffrés de bout en bout, de sorte qu’ils ne peuvent pas être lus lorsqu’ils sont envoyés entre les appareils. Avec watchOS, iOS et iPadOS, les messages sont chiffrés sur votre appareil afin qu’ils ne soient pas accessibles sans votre mot de passe. Vous pouvez choisir de supprimer automatiquement vos messages de votre appareil après 30 jours ou un an ou de les conserver indéfiniment sur votre appareil.
  • Assistant vocal Siri : Siri est conçu pour apprendre autant que possible hors ligne, directement sur votre appareil. Les recherches et les demandes sont associées à un identifiant aléatoire — une longue chaîne de lettres et de chiffres — et non à votre identifiant Apple.
  • Apple Pay : Apple ne sait pas ce que vous achetez, ni où vous l’avez acheté ni pour combien, lorsque vous payez avec une carte de crédit ou de débit ou transférez de l’argent avec Apple Cash. Vos numéros de carte réels ne sont jamais stockés sur l’appareil ou sur les serveurs Apple. Au lieu de cela, un numéro de compte d’appareil unique est créé, qui est chiffré d’une manière qu’Apple ne peut pas déchiffrer, et stocké dans le système Secure Element de l’appareil.
  • Health : Vous décidez quelles informations sont placées dans l’application Santé ainsi que qui peut accéder à vos données. Lorsque votre téléphone est verrouillé avec un mot de passe, Touch ID ou Face ID, toutes vos données de santé et de fitness dans l’application Santé sont cryptées. Toutes les données de santé sauvegardées sur iCloud sont cryptées à la fois en transit et sur nos serveurs. Et si vous utilisez les dernières versions de watchOS et iOS et activez l’authentification à deux facteurs, vos données de santé et d’activité seront sauvegardées d’une manière qu’Apple ne pourra pas lire.
  • Se connecter avec Apple : ce système d’identification est équivalent à celui de Google ou Facebook, mais à la différence de ces derniers, lorsque vous utilisez “Se connecter avec Apple”, les sites Web et applications demanderont votre nom et votre adresse e-mail au maximum. Et Apple ni ne vous suivra ni ne vous profilera lorsque vous utilisez la connexion avec Apple. De plus, si vous ne souhaitez pas partager votre adresse e-mail avec une application ou un site Web en particulier, vous pouvez choisir de la masquer. Vous pouvez également demander à Apple de créer une adresse e-mail fictive et unique (qui comporte des chiffres, et pas votre nom) qui transférera les e-mails à votre véritable adresse.
  • App Store : L’App Store inclut désormais des informations détaillées sur la confidentialité des données qui vous aideront à mieux comprendre les modalités de collecte des données de chaque app sur sa page dédiée. La nouvelle section d’informations sur la confidentialité des données vous aide à mieux comprendre les pratiques de confidentialité d’une app sur n’importe quelle plate-forme Apple. Ainsi, en consultant la page produit d’une application, vous pourrez en savoir plus sur les types de données que l’app peut collecter, et déterminer si les données sont liées à votre identité ou utilisées à des fins de suivi.

Cette liste de fonctionnalités n’est pas exhaustive. Vous pouvez consulter le site dédié pour en savoir plus sur ces différentes fonctionnalités et d’autres que je n’ai pas évoqué plus haut.

Ici s’achève la première partie de cet article se focalisant sur les pratiques liées à la confidentialité et la collecte des données personnelles par les GAFAM. Le prochain article abordera les cas d’Amazon et Microsoft, et se terminera par un comparatif général.

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